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Les origines du taureau de combat

Une race sauvee par la tauromachie

Jusqu'au Moyen-Âge, on trouve dans toute l'Europe des troupeaux de taureaux plus ou moins sauvages, lointains descendants de l'aurochs des origines. Selon leur habitat, ils se sont différenciés en de nombreuses "races", toutes interfécondes. A l'ère moderne, seules notre Camargue et la Péninsule Ibérique ont fait office de "conservatoire" écologique ; la vieille tradition, à la fois populaire et aristocratique, des jeux taurins y a largement contribué. Partout ailleurs, le taureau sauvage a disparu.

La Camargue a été le refuge d'un petit taureau noir, très vif, aux cornes "en lyre" ou "en gobelet".

En Espagne, on trouvait dans les contreforts pyrénéens de Navarre, sur les rives de l'Èbre, un petit toro, roux, de toutes nuances ("colorado encendido" feu, "melocotón" pêche, "retinto" acajou), quelquefois châtain ("castaño") ou noir, parfois "sardo" (mélange de noir, de roux et de blanc) ou même gris ("cárdeno", mélange de poils noirs et blancs), voire blanc ("ensabanado"), très agile, combatif, infatigable, aux cornes courtes et relevées : celui que figurent les tauromachies de GOYA ; il reste encore dans les Pyrénées basques de la vallée de la Bidasoa, ainsi que sur le versant espagnol, quelques groupes "betisu", sans doute vestiges de ces anciens troupeaux sauvages. Dans les steppes madrilènes de Castille, c'étaient des bêtes grandes, puissantes, aux cornes relevées et à la robe noire, rousse ("colorado"), feu ou beige ("jabonero"). Dans la région de Tarifa, on trouvait des toros de types probablement assez divers. Quant aux terres marécageuses du delta du Guadalquivir, elles étaient vraisemblablement habitées par des toros de taille moyenne mais très musclés, généralement noirs, parfois pie ("berrendo" : un type de pelage qui n'apparaît que dans les races domestiques), roux ou gris, aux cornes harmonieuses… Bref, on relève de 5 à 8 origines fondamentales. Deux seulement survivent de façon vraiment significative, la plupart ont carrément disparu.



Outre la géographie, une multitude de jeux taurins extrêmement populaires et très anciens, peut-être enracinés jusqu'en d'antiques rituels religieux, ont contribué de façon décisive à la survivance de ces races sauvages. Plutôt que de domestiquer les bêtes pour l'élevage et les travaux agricoles (comme au Portugal et, un peu, Camargue)… plutôt que d'étendre les terres cultivables au détriment des habitats naturels (comme en Camargue, dans la Péninsule Ibérique ou en Italie)… plutôt que d'exterminer les bêtes à chasser ou à capturer pour les jeux… de grands propriétaires terriens se sont mis, dès le XVIe – XVIIe siècle, à rassembler et à entretenir les troupeaux sauvages présents sur leurs terres pour fournir les jeux taurins et rehausser leur prestige. C'est ainsi qu'en Espagne, la noblesse… et les grandes congrégations religieuses (!) sont à l'origine de la survie de ce que nous appelons aujourd'hui le "toro de combat", et permettre ainsi la survie de ces lignées.

Au fur et à mesure, mais de manière intensive depuis le milieu du XVIIIe siècle, un élevage systématiquement dirigé s'est organisé, par sélection et/ou par croisements divers, en fonction des résultats recherchés pour les jeux taurins, ceux des villages en fête, ou ceux des spectacles organisés, offerts ou payants. Et c'est là que tout se complique.

La fragile alchimie de l'elevage

Quel que soit son but, la sélection passe par les loteries de la génétique, une loterie que certains tentent aujourd'hui de diriger grâce aux nouvelles possibilités offertes par les analyses d'ADN. Celui qui a le bonheur de réussir quelque chose cherche à stabiliser sa trouvaille ; il crée ainsi une nouvelle lignée ("encaste"). Il est aussitôt imité par d'autres ; ou bien il leur vend des reproducteurs et sa réussite vient "améliorer" les troupeaux existants par croisement, voire les éliminer par substitution ou absorption. Comme il y a toujours des audacieux pour ouvrir des voies nouvelles, et des chanceux pour réussir, le processus paraît sans fin: il se poursuit encore. C'est par dizaines que l'on compte les encastes ainsi créés.

Au bout de 2 ou 3 siècles, aboutissons-nous à une fabuleuse diversification des races, comparable à celle de nos chiens, tous issus du loup (de récentes recherches génétiques viennent de le démontrer) ? Pas du tout ! Nous assistons au contraire à un appauvrissement génétique et à une standardisation, assez calamiteux du point de vue biologique ; et même, aujourd'hui, à une certaine dégénérescence, également calamiteuse du point de vue tauromachique. Pourquoi ?

La "demande" évolue de façon univoque : elle élimine au lieu d'ajouter.

Certes, il reste encore une multitude de petits éleveurs locaux fournissant les fêtes des villages environnants. Assez éclectiques à de rarissimes exceptions près, ils juxtaposent et/ou mélangent facilement toutes les castes et lignées selon les opportunités, recherchant simplement chez leurs toros l'agressivité, la mobilité et la résistance requises par les jeux taurins du terroir. Mais dans les grands élevages qui fournissent le spectacle–roi de la corrida, c'est autre chose.

La corrida moderne prisée par les publics et les toreros demande un toro réunissant des qualités de "comportement" très pointues, par nature assez instables. La pression des professionnels du spectacle organisé _ matadors et, plus encore, fondés de pouvoir ("apoderados") ou organisateurs ("empresas") _ tend à gommer au maximum les aspérités du toro. Depuis 150 ans, cette "demande" conduit les éleveurs qui veulent vendre à privilégier certaines origines au détriment des autres, ainsi qu'à "adoucir" de façon continue le toro de combat : réduire sa sauvagerie et sa résistance, accroître la franchise et la douceur de ses attaques au risque de la mollesse voire de l'invalidité, réduire ses armures… quitte à concéder une augmentation de son "volume". Le spectacle devient ainsi moins brutal, moins dangereux, plus artistique, plus long… et le succès moins aléatoire. Reflet, à coup sûr, des évolutions de notre société jusqu'à la trop fameuse société de consommation marchandisée et quelque peu aseptisée.

Aussi le bétail qui ne correspond plus assez aux critères de l'heure se trouve progressivement éliminé, ne serait-ce que pour des raisons économiques, et la diversification se mue en une standardisation accompagnée d'un inquiétant appauvrissement génétique du toro sauvage des origines. La sélection a pourtant su créer des toros formidables et divers, tant par leur morphologie que par leur tempérament. Mais des castes entières se sont irrémédiablement éteintes, de nombreux encastes ont disparu. Les actuelles diversifications ne jouent plus que sur une portion extrêmement restreinte de la diversité génétique des origines : 5 à 6 % sans doute, dans les élevages qui tiennent le haut du pavé (quelques autres gardent, sous des formes bien métissées, quelques traces de castes ou d'encastes disparus).

Sans doute est-ce l'une des raisons importantes pour lesquelles l'alchimie de ce toro "de laboratoire" _ néanmoins sauvage et toujours dangereux, car il reste un vrai "fauve" ! _ est si subtile, si instable, qu'un rien vient parfois tout déséquilibrer et compromettre même les plus belles réussites…

La faiblesse chronique qui atteint aujourd'hui les plus grands élevages (elle n'est pas toujours voulue... elle semble moins grave depuis quelques années) inquiète sur l'avenir des derniers toros "sauvages" d'Europe. Après avoir sauvé des races animales uniques au monde, le milieu taurin serait-il en train de détruire irrémédiablement le peu qu'il a laissé subsister de nos jours ?

Cet affadissement du toro de combat inquiète aussi nombre d'aficionados sur l'avenir de la corrida : cette culture unique au monde, toujours vivante en Espagne, dans le midi de la France, au Portugal, et dans une bonne part de l'Amérique latine… cette culture tellement choquante pour nos mentalités modernes "aseptisées", qui cherchent à masquer ces faits incontournables de notre condition humaine : à savoir que nous faisons partie d'un monde de violence et, plus encore, que nous naissons pour mourir…

La matiere

La nature de la matière conditionne l'intérêt, les difficultés et les limites de ce travail. La matière est :

L'informatique offre des ressources extraordinaires pour traiter toute cette information et la rendre accessible. Il va de soi, mais il vaut mieux le préciser, que ce travail est totalement désintéressé et sans visée commerciale d'aucune sorte.



De l'aurochs au toro bravo - Archéozoologie et génétique

Au commencement, l'aurochs (bos primigenius)

Depuis "toujours", des hardes d'aurochs erraient dans la péninsule ibérique à l'état sauvage. Là comme ailleurs sans doute, elles étaient essentiellement composées de vaches : il semble que la règle soit un groupe de base d'une trentaine de têtes, d'origine matriarcale, associant les femelles et les jeunes ; les mâles adultes évoluant en périphérie par groupes de 5 à 15, et les vieux mâles solitaires étant rejetés plus loin. Cette organisation joue sur de vastes espaces, hors de la saison de reproduction où les mâles rejoignent le troupeau pour saillir les femelles, ce qui engendre des luttes pour la mise en place d'une dominance.

Les peintures paléolithiques attestent dès cette époque la présence des aurochs en Espagne ainsi que leur importance pour ses habitants. Plus tard, les Ibères (à la différence des Celtes) voueront d'ailleurs au taureau un véritable culte, comme l'ensemble des civilisations méditerranéennes (Crète, Thessalie, Égypte et tout le Proche-Orient ancien). On connaît d'ailleurs des exemples historiques fameux d'utilisation par les Ibères de taureaux plus ou moins sauvages (éventuellement manœuvrés grâce à des "mansos") dans des batailles militaires : en - 228, le fameux guerrier ibère ORISÓN provoqua une nuit de terreur dans le camp du carthaginois Amílcar BARCA, installé à Helice (Albacete), en lançant contre lui des taureaux 'emboulés' avec des torches avant de porter son attaque ; un combat dans lequel Amílcar trouva la mort. Faut-il chercher plus loin l'origine des actuels "toros de feu" et autres "toros emboulés" ?… à moins que ce ne soit l'inverse !

Il est admis par les zoologues/archéozoologues que l'aurochs, ou "bos primigenius", est l'ancêtre de tous les bovins actuels. L'existence de deux, voire trois, branches de ce 'bœuf' - l'une européenne ("bos primigenius primigenius"), l'autre asiatique ("bos primigenius namadicus"), voire une troisième africaine ("Bos primigenius hahni") - n'est pas admise par tous les archéozoologues.

Toutefois l'aurochs a été présent pendant une période très longue (un demi million d'années à peu près) et sur un territoire très étendu (Europe et Asie, voire Afrique). C'est pourquoi il est raisonnable de penser qu'il s’est différencié graduellement au cours du temps. Aussi paraît-il préférable à beaucoup d'admettre l'existence de ces deux, voire trois, sous-espèces géographiques à la fin du pléistocène et au début de l'holocène [par convention et pour la plupart des spécialistes de l'ère quaternaire : le Pléistocène est compris entre moins 1,87 million d’années et moins 10.000 ans ; et l’Holocène entre moins 10.000 ans et le présent], soit : le "bos primigenius primigenius" en Europe et au Proche-Orient, le "bos primigenius namadicus" en Asie du Sud, voire le "bos primigenius hahni" en Afrique du Nord (Voir : Brassel, "Essais sur les sources et étapes de la domestication". Thèse pour le Doctorat vétérinaire, Toulouse 1982, 223p.).

L'aurochs sauvage domestiqué (bos taurus/indicus/hahni)

De l'aurochs, ou "bos primigenius", dérive la totalité des bovins domestiques :

° par l'éventuel "bos primigenius primigenius", le "bos taurus", dont le centre de domestication est très probablement la Syrie et le plateau anatolien _ tous deux situés situé en Asie _ 8.000 ans avant JC (époque de la "révolution néolithique" avec, grosso modo, le passage de la chasse-cueillette à l'élevage-culture), et dont sont issus tous les autres bovins 'taurus' du monde. Le 'bos taurus' est donc la forme domestiquée du "bos primigenius primigenius", aurochs d'Europe et du Proche-Orient. On pense que ce 'taurus' a été amené vers l'ouest européen par les peuplades néolithiques en migration. Par définition, il n'existe donc pas de "taurus" sauvage ; les bovins véritablement sauvages sont d'autres espèces, tels le Banteng ou "bos javanicus", le Gaur ou "bos gaurus", le yak ou "bos grunniens", le kouprey ou "bos sauveli". C'est dire la difficulté du discernement, et l'apport précieux de la génétique.

° par l'éventuel "bos primigenius namadicus", le "bos indicus" (c'est-à-dire le zébu).dont le centre de domestication est probablement le Pakistan, vers la même époque que le "bos taurus". _ La question de savoir si le 'bos primigenius namadicus' est vraiment une sous-espèce du 'bos primigenius' est discutée. A vrai dire, c'est plutôt une question philosophique : le concept biologique de "l'espèce" inclut l'interfécondité. Cela ne s'applique naturellement pas aux fossiles puisqu'on ne peut plus vérifier s'ils étaient interféconds ou pas. La définition paléontologique du terme "espèce" est donc différente ; elle se base uniquement sur la quantité de caractères morphologiques différents. En tout cas, il est acquis que le 'bos indicus' est la forme domestiquée du 'bos primigenius' en Asie du Sud. _

° Quant aux descendants domestiques de l'éventuel "bos primigenius hahni", il faut bien reconnaître que ce n’est pas encore clair… On sait seulement avec certitude que les bovins africains actuels sont souvent des croisements entre taurus et indicus : vaches 'taurus' X taureau 'indicus'. On pense que les Arabes auraient importé en Afrique des zébus qui auraient ensuite été croisés avec des taurus déjà existants sur place.

Mise au point, en 2022, sur les origines de l'aurochs.

Selon les données paléontologiques, la plupart des auteurs s’accordent sur une origine asiatique de l'aurochs ; et son ancêtre semble originaire du sous-continent indien (Vuure, 2005). Toutefois, certains auteurs proposent une origine africaine (Martínez-Navarro et al., 2010). Il reste donc encore une part d'incertitude.

La forme la plus ancienne serait Leptobos, au Pliocène (en gros : entre 5 et 2,5 millions d'années) tardif ou au Pléistocène (en gros : entre 2,6 millions d'années et - 12.000 ans) ancien ; il pourrait être un ancêtre commun aux aurochs et aux bisons (Pfeiffer, 1999). Le plus ancien spécimen connu a 2 millions d’années ; il a été trouvé dans le Siwalik en Inde du nord (Lydekker, 1898).

Le précurseur des aurochs pourrait être Bos acutifrons (Vuure, 2005). Ce Bos acutifrons aurait vécu en Inde jusqu’au milieu du Pléistocène, et l'on pense généralement que Bos primigenius aurait évolué à partir de cette espèce entre 1,5 et 2 millions d’années. Certains auteurs proposent un Bos namadicus comme intermédiaire entre Bos acutifrons et Bos primigenius (Groves, 2009; Pilgrim, 1947).

Au cours du Pléistocène, l’aurochs se serait distribué à partir de l’Inde et se serait d’abord propagé vers le sud de l’Europe où il serait arrivé en Espagne il y a 700.000 ans (Jordi Estevez & Maria Sana, 1999).
Il a aussi été identifié dans le delta du Tibre dans une période interglaciaire appelée Günz-Mindel (entre 800 000 et 500 000 ans AP - Avant le Present, le "présent" étant par convention notre année1950 -) (E.Cerilli & C.Petronio, 1992).
Il se serait distribué en Europe centrale probablement en passant par la Russie (van Nuure, 2005). Le premier spécimen, un crâne, a été identifié en Allemagne à Steinheim an der Murr et date de 275.000 ans, une période très chaude entre deux âges glaciaires (Lehmann, Ulrich, 1949). La répartition des aurochs au cours du Pléistocène fluctuait en fonction des glaciations.

Comment le toro bravo vient-il de l'aurochs ?…

L'aurochs peuplait donc l'Europe, l'Asie et probablement l'Afrique du Nord. Il a été exterminé partout. Les dernières présences attestées d'aurochs remontent en Espagne au 5ème siècle, en France au 10ème (12ème ?) siècle, en Grande-Bretagne au 12ème siècle. Il a disparu en Europe continentale au XVIIe siècle : le dernier spécimen connu, une vache, est tué en 1627 dans les forêts profondes de Pologne, dans la région de Jaktorowska au sud-ouest de Varsovie.

A l'origine, l'aurochs était grand : dans les 2 mètres au garrot, d'après les ossements fossiles. D'après peintures et récits, on le suppose véloce, farouche, avec un avant-train puissant('aleonado', de type 'lion', selon l'expression espagnole), et ayant tendance à fuir l'homme… comme tous les animaux sauvages, et plus encore les herbivores qui constituent la proie des félins. Son pelage typique aurait été negro listón (noir avec une raie, dite 'listel', plus claire le long de l'épine dorsale) ou castaño oscuro (châtain foncé).

On pense que l'aurochs serait entré naturellement dans la péninsule ibérique par les Pyrénées, bien avant l'arrivée des Ibères, peut-être venus d'Afrique du Nord, qui envahirent le sud de la péninsule vers le 1er millénaire avant notre ère ; et a fortiori bien avant l'arrivée des Celtes, originaires de France, qui s'implantèrent au nord vers le milieu de ce 1er millénaire. Il est admis que chaque peuplade faisait suivre ses 'bos', évidemment domestiqués (donc des 'bos taurus'), même si, peut-être, ils étaient peu dociles.

Étant entendu que le toro 'bravo' ou 'de lidia' est un 'bos', une question se pose : descend-il directement de l'aurochs de la péninsule ibérique (un 'bos primigenius primigenius') ? a-t-il une autre origine (dans ce cas, probablement un 'bos taurus' !) ? ou est-il un croisement des deux ?

La thèse classiquement soutenue dans les milieux taurins est que le toro bravo descendrait directement de l'aurochs de la péninsule ibérique. L'aurochs y serait devenu, par adaptation au milieu, plus petit et plus robuste, avec une certaine différenciation selon les habitats : c'est fort possible car il est bien connu qu'une espèce sauvage est en équilibre avec son biotope, notamment avec les ressources alimentaires de celui-ci ; et toutes les études indiquent qu'entre les aurochs danois (de grande taille) et ceux du pourtour méditerranéen, il y avait de fortes différences de format (Jean-Philippe Brugal cite même un cas de nanisme insulaire en Italie ["Cas de 'nanisme' insulaire chez l'aurochs", 112ème congrès national des sociétés savantes, Lyon 2, pp.53-66, 1987]. Par ailleurs dans le midi de la France et en Suisse, on a trouvé de tout petits bœufs du Néolithique, des âges du Fer et du Bronze ; on cherche par des tests génétiques si les Romains n'auraient pas croisé ces petits bœufs avec ceux d'Italie, qui étaient plus grands ; les sauts de taille des bœufs intriguent les chercheurs ! Notons d'ailleurs que la riche alimentation des toros de combat actuels en protéines a eu pour effet, en moins d'un demi-siècle, de grandir considérablement leur type physique… comme pour les humains ! Même si la sélection de reproducteurs plus charpentés y a contribué aussi, le fait est significatif.).

Reste qu'à ce jour, personne ne peut certifier que la supposée "adaptation au milieu" de l'aurochs n'est pas en réalité sa simple disparition et sa substitution par divers 'bos taurus' (nous verrons plus bas que la génétique irait plutôt dans ce sens…) ! On pourrait penser aussi à à un croisement plus ou moins accidentel aurochs X bos taurus ; mais même s’il y en a eu, ce qui est fort vraisemblable, il n'en reste aucune trace génétique décelable à ce jour : soit les descendants ont été tués tout de suite, soit les lignées ainsi produites se sont éteintes…

Il se dit dans les mêmes milieux taurins que, par contre, les cornes de l'aurochs ibérique se seraient davantage développées : mais sur quelles bases le dit-on ?… Bref, nous sommes devant une véritable énigme, et les réponses habituelles sont peu convainquantes car peu étayées.

Les sources de la bravoure

Si l'aurochs est naturellement peu agressif (à l'exception des troupeaux de Navarre et d'Aragon, pensent certains : en raison peut-être de leurs conditions de vie, disent-ils ; mais sur quelles bases ???), il faut se demander d'où pourrait venir la "bravoure" du toro de combat (le "toro").

Le plus vraisemblable serait que cette bravoure relève d'un caractère sélectionné de longue date et exacerbant à la fois : - le fait qu'un animal sauvage traqué et acculé finit par foncer et se défendre en chargeant (dans de grands espaces, même le toro bravo actuel fuit l'arrivée de l'homme…), - et le fait qu'à l'intérieur des troupeaux la dominance entre individus (notamment entre mâles) s'établit chez les bovidés par des combats frontaux. Il est aussi utile de se rappeler qu'un bovin isolé pendant des mois sans contact avec l'homme devient agressif quand on pénètre dans son enclos… même quand il s'agit d'une paisible vache normande ! Notons que, d’après les statistiques rigoureuses de Juan Pedro DOMECQ SOLÍS, la bravoure ne s’hérite qu’à 33% ; elle est donc très instable, ce qui confirme le grand rôle de la sélection dans l'apparition de la bravoure du toro.

On remarque d'ailleurs aujourd'hui encore dans les troupeaux domestiques, et particulièrement dans les races rustiques, des individus plus agressifs que d'autres… et que les éleveurs s'empressent de supprimer, réalisant, comme le dit un éleveur français de "moruchos de Salamanque" et de toros de combat, "une sélection à l'envers" ! Dans l'histoire de la naissance des élevages 'bravos', on lit couramment que l'on a sans cesse choisi à l'intérieur des troupeaux soit des individus soit des lignées particulièrement agressifs ; ce trait, s'il est bien avéré, confirmerait lui aussi cette vision des choses. A l'inverse, on sait que bien des taureaux "sauvages" ont été domestiqués en vue des travaux agricoles, tant en Espagne et au Portugal qu'en Camargue ; et que l'on doit aux seuls jeux taurins la permanence de troupeaux "sauvages" et agressifs jusqu'à nos jours.

Tout va dans le même sens. L'agressivité naturelle des 'bos' est des plus relatives. Les actuels éleveurs de "bravos" qui, après des erreurs de sélection, cherchent à "récupérer" la "caste" de leur troupeau en savent quelque chose !… On peut donc ancrer l'ensemble des comportements du bétail 'bravo' dans la forme sauvage, l'aurochs ; mais cela n'implique nullement que les aurochs espagnols aient été plus agressifs que les autres… et moins encore qu'ils soient l'ancêtre direct du toro bravo.

L'apport des ibères, des celtes et des arabes

En tout cas, quelle qu'en soit l'origine, le bétail ibérique déjà existant, qui a donné naissance à l'actuel 'toro bravo', s'est très probablement croisé avec d'autres races/lignées ('breeds' en anglais) de 'bos taurus' :

° Aux abords du premier millénaire avant JC, les Ibères auraient fait suivre en Andalousie des animaux venus d'Afrique du nord et des abords du Nil : certainement du 'bos taurus' (sans les domestiquer, comment "promener" les aurochs !) dont rien ne vérifie aujourd'hui qu'il soit croisé d'aurochs nord-africain. Ce bétail se serait établi assez librement surtout dans le sud de la péninsule et plus particulièrement dans l'actuelle Andalousie ; on ne voit guère comment il ne serait pas croisé avec le bétail plus ou moins domestique déjà existant ! De taille beaucoup plus petite que l'aurochs, à l'instar du reste du bétail européen, ce bétail africain aurait le dos ensellé et les cornes développées ; son pelage typique serait noir (negro), roux (colorado) et pie (berrendo). Certains prétendent que son agressivité serait plus marquée et que cela pourrait expliquer la plus grande "bravoure" du bétail de combat andalou moderne (et de ce fait, sa prédominance quasi absolue à partir de la seconde moitié du XXe siècle), mais l'affirmation paraît assez gratuite compte tenu de ce que l'on sait de l'aurochs et des bœufs (voir ci-dessus).

° Lors de leurs invasions, vers le milieu du premier millénaire avant JC, les Celtes, venus de France, ont également amené avec eux du bétail, surtout dans le nord et l'ouest de l'Espagne : du 'bos taurus', lui aussi issu de l'aurochs syro-anatolien et dont, à ce jour, rien ne prouve non plus qu'il aurait été croisé avec des aurochs locaux. Ces animaux, aux cornes généralement verticales et au pelage dominant roux, auraient contribué à donner l'actuelle race navarraise, par croisement avec le bétail plus ou moins domestique local [et avec des aurochs locaux ??? seule l'analyse génétique le dira, mais c'est très improbable].

° On suppose enfin que, lors de leurs invasions et de leur occupation de la péninsule ibérique entre 711 et 1147, les Arabes ont emmené du bétail africain, dont aucune analyse génétique ne permet aujourd'hui de supposer qu'il serait déjà un croisement 'taurus X indicus'. On a même pu démontrer cet apport arabe au Portugal par une approche génétique : des 'taurus' européens (ibériques) se sont alors croisés avec des 'taurus' africains, car on a constaté dans les populations bovines du Portugal un gradient mitochondrial africain qui reflète le gradient de l’occupation arabe : on ne trouve plus l'haplotype africain au Nord du Portugal.

[gradient = degré de concentration d’un caractère propre qui diminue progressivement d’intensité dans l’espace à partir de son foyer originel.] [haplotype = au sens strict, l'une des deux portions du matériel génétique se correspondant sur chacun des deux chromosomes formant une paire. En fait, ici, c’est plutôt la combinaison d’allèles ou de marqueurs qui sont liés et qui ont donc tendance à être transmis comme unité à la génération suivante. Dans notre cas, il s'agit de l’ADN mitochondrial qui a priori ne recombine pas et qui est donc transmis comme entité. Il en suit que l’on peut traiter le morceau de l’ADN mitochondrial que l’on analyse comme "haplotype". Pour les bœufs, on regarde le " D-loop " qui est la région la plus variable de l’ADN mitochondrial, car elle ne code pas pour une protéine et ne subit donc pas une forte pression de sélection.]

En se croisant de façon volontaire ou accidentelle (voir ce qui s'est passé avec les betizu de la vallée de la Bidasoa) avec le bétail déjà présent sur la péninsule, ces trois apports auraient donc favorisé la création d'un tronc ibérique original et relativement diversifié : le "bos taurus ibericus", qui aurait continué à se diversifier jusqu'à l'époque moderne dans des troupeaux domestiques, tandis qu'une part serait retournée ou restée à l'état plus ou moins sauvage, et se serait développée en totale indépendance pendant des siècles dans toute la péninsule, particulièrement en Andalousie, Castille, Estrémadure et Navarre, ainsi qu'au Portugal. C'est seulement à partir des années 1500/1600 que commence un semblant d'élevage dirigé de ce bétail qui donnera le toro de combat.

Bos… taurus… ibericus !

Le bétail "brave" espagnol serait-il donc, paradoxalement, un simple "bos taurus" redevenu sauvage ? Il ne serait plus à considérer comme un aurochs mâtiné de "bos", ou inversement ? Et moins encore comme un pur aurochs ? Les études génétiques, désormais plus faciles, vont tout à fait dans ce sens :

° En 2.001, à l'initiative de la UCTL (union espagnole des éleveurs de toros de combat), une étude de la distance génétique entre quelques 'encastes' (lignées originales à l'intérieur d'une 'caste' de base) a été menée ; il en ressort que le "juan pedro domecq" et le "núñez" sont les plus proches (on s'en serait douté !), et que le plus éloignés de tous les autres est le "pablorromero". Le "miura", quant à lui, ne faisait pas partie de cette recherche.

° Actuellement, les recherches en biologie moléculaire basées sur l'ADN mitochondrial [donné seulement par la mère !] situent le toro de combat espagnol comme un 'bos taurus' originaire d'Anatolie-Syrie, et rien d'autre. D'ailleurs, personne jusque ici n'a trouvé d'évidence moléculaire signalant que les bœufs européens ('bos taurus') soient les descendants directs des aurochs européens ('bos primigenius primigenius') déjà existants sur place. Malheureusement, on ne connaît pas encore la signature génétique de l’aurochs anatolien, lui aussi 'bos primigenius primigenius' ; c'est dire que les comparaisons génétiques entre l'aurochs syro-anatolien et l'aurochs européen ne sont pas encore possibles ; mais les chercheurs sont sur la piste ! A suivre…

° En va-t-il de même avec le bétail camarguais ? A ce jour, l'ADN mitochondrial le situe lui aussi comme un 'bos taurus'. Il ne semble pas qu'il ait donné lieu à des études scientifiques plus poussées.

° Que dira l'avenir ? On ne sait pas. Mais à ce jour, il n'est pas possible de considérer le toro de combat autrement que comme un 'bos taurus'. Bos taurus ibericus… un animal domestique (ce qui ne veut pas forcément dire docile !) revenu à la vie sauvage avant d'être à nouveau "domestiqué"… au moins juridiquement, d'abord par une reproduction dirigée, ensuite par l'apport de la nourriture. Juridiquement car il s'agit en réalité d'un dangereux et authentique "fauve", bien que cet herbivore n'ait évidemment rien… d'un félin ! A moins qu'il ne soit plus juste de parler d'animal quelque peu caractériel…

L'émergence du "toro bravo"

Il se dit ordinairement dans les milieux tauromachiques que, dès les origines, l'homme a sans doute cherché chez les bovins des qualités de douceur en vue de la domestication : d'où l'apparition en Espagne et ailleurs des races 'mansas' autochtones ; mais qu'il serait demeuré un important noyau de troupeaux trop agressifs pour être domestiqués. Au vu des connaissances qui sont aujourd'hui les nôtres, c'est certainement faux ! Ces troupeaux "trop agressifs" ne peuvent pas être autre chose que des bœufs domestiques, peut-être… et même certainement ! échappés au contrôle humain, et sans doute devenus assez farouches.

Ce bétail revenu à l'état sauvage a évolué indépendamment. Il s'est établi à l'écart de la présence humaine, dans les zones boisées, collinaires (cf. Tarifa), montagneuses (cf. Navarre) ou marécageuses (cf. "marisma" du GUADALQUIVIR) où il a été chassé comme gros gibier pendant des siècles. On trouve un processus semblable en Camargue.

C'est au début du Moyen Âge que ce toro "sauvage" perd sa qualité de gibier au profit de sa qualité d'animal de combat pour le divertissement, dans divers jeux taurins de village ou de Cour : ce sera le ressort de toute la sélection par l'homme, du XVIème siècle jusqu'à nos jours. On a commencé par choisir dans ces troupeaux "sauvages" les bêtes plus agressives ; plus tard, on cherchera à les sélectionner, pensant qu'il y a quelque chose d'héréditaire dans leur comportement.

Il faudra attendre le XVIIIème siècle pour que commence cette sélection spécifique en vue de maintenir ou d'augmenter leur tendance à charger. En effet, les 1ers noyaux de bétail élevé, ou du moins encadré, pour le combat apparaissent courant XVIème. Mais on ne peut pas véritablement parler d'élevage spécifique de toros de combat avant la fin du XVIIe. Et l'élevage n'a été formellement organisé qu'au milieu du XVIIIe, époque où apparaît un ensemble de ganaderías desquelles sont plus ou moins issus tous le toros de combat actuels.

Dans cette organisation, les religieux, dont beaucoup assuraient un service social (éducation, santé, orphelinats…), ont curieusement tenu une place importante en Andalousie. Ces communautés religieuses possédaient du bétail grâce à la dîme payée par les grands propriétaires terriens : leur bétail descendait probablement des grands troupeaux qui paissaient librement du côté de TARIFA et probablement de l’embouchure du Guadalquivir. Parmi les couvents qui y sont restés fameux pour leurs toros, on trouve attestés : le monastère des CHARTREUX (Cartujos) à Jerez, du début du XVIIème siècle à 1835 ; le couvent des CHARTREUX à Séville, de 1731 à 1800 ; les Pères de la COMPAGNIE DE JÉSUS (Jésuites) à Séville de 1717 à 1763 ; le couvent de San Isidro à Séville, de 1731 à 1796 ; le couvent de la Très Sainte Trinité à Carmona, de 1743 à 1780 ; le couvent royal de Santo Domingo à Jerez, de 1775 à 1820 ; le couvent des DOMINICAINS de San Jacinto à Séville, de 1762 à 1794 ; le monastère de San Jerónimo à Séville, de 1751 à 1796 ; le collège du couvent de San Basilio, de 1770 à 1777 ; et le couvent de San Agustín à Séville, de 1782 à 1793. A titre d'exemple, une affiche annonce pour le 20 juin 1780, au PUERTO DE SANTA MARÍA, une course avec des toros : du "REAL CONVENTO DE SANTO DOMINGO" de "XEREZ" portant une devise blanc et noir, de Pedro TORRÉS portant une devise noire, et de José VARGAS portant une devise bleu ciel ; avec les matadors Pedro ROMERO et Joseph DELGADO "alias YLLO" [=Pepe HILLO].

Les 1ères ganaderías du XVIIIème sont considérées comme les races fondamentales et fondatrices de l'élevage brave, même s'il ne reste rien ou presque de certaines. Les principales sont au nombre de 6, ou 7 si l'on y rajoute la vieille race de combat lusitanienne. Il y a en effet une histoire comparable au Portugal, où il reste d'ailleurs quelques reliques de la race portugaise fondamentale des origines (cf. VAZ MONTEIRO), voire quelques troupeaux encore semi-sauvages.

Par ailleurs, il semble qu'en matière d'élevage bravo, la Navarre ait eu une longueur d'avance sur le Sud. Quant à l'Amérique hispanique, tout son bétail est importé d'Espagne, et ce dès l'époque de Hernán CORTÉS au Mexique (dès 1528, des bêtes de caste navarraise).

Notons enfin que c'est une époque où l'agriculture extensive et la faible population laissent encore libres de grands espaces incultes : des conditions idéales, mais révolues, pour ce type d'élevage. [Voir la suite dans 'Les castes originelles']

Merci à la chercheuse Eva-Maria GEIGL, sans qui cette présentation n'aurait pu avoir autant de rigueur ni de précision.



Les castes originelles

Les 1éres ganaderías du XVIIIème, constituées à partir du bétail "sauvage" [voir 'de l'aurochs au toro'] local, sont donc considérées comme les races fondamentales et fondatrices de l'élevage brave, même s'il ne reste rien ou presque de certaines. Les principales sont au nombre de 6, ou de 7 si l'on y rajoute la vieille race de combat lusitanienne.

1. La caste jijón

La caste jijón a été créée par la famille JIJÓN, à VILLARUBIA DE LOS OJOS DEL GUADIANA dans la province de CIUDAD REAL, courant XVIIIe siècle, avec du bétail de la région dont l'origine est inconnue. Ils ont regroupé les colorado et les castaño, qui abondaient, et les ont sélectionnés pour leur donner certaines caractéristiques particulières :
Au fil des années, cette caste s'est implantée ailleurs ; dans la région de COLMENAR VIEJO, il y a eu d'importants troupeaux, appelés populairement "de la tierra".

En tant que race pure, elle peut être considérée comme éteinte. Manuel GARCÍA ALEAS, de COLMENAR VIEJO, a bien maintenu du bétail de cette origine ; mais un croisement absorbant avec du santa coloma, pendant plus de 50 ans, fait qu'aujourd'hui, cet élevage est plutôt du santa coloma par absorption. Cependant, quelques passionnés s'efforcent aujourd'hui, avec l'aide d'analyses d'ADN, de retrouver le plus possible cette caste à partir de restes plus ou moins métissés conservés dans des élevages marginaux.

2. La caste cabrera

Pendant la première moitié du XVIIIe siècle, près de UTRERA (Sevilla), Luis Antonio CABRERA PONCE DE LEÓN Y LUNA semble avoir créé cette caste cabrera à partir du bétail des frères CHARTREUX de JEREZ, des DOMINICAINS de SEVILLA et peut-être de quelque autre de ces communautés religieuses qui possédaient du bétail. Sa fille Bárbara lui succéda en 1768. Elle était mariée avec Rafael José de CABRERA. C'est à cette époque que la ganadería acquit les caractéristiques qui firent sa réputation.

Ces toros se distinguaient par :
Malgré quelques croisements avec d'autres castes, MIURA semble avoir gardé un certain nombre de bêtes issues de cabrera, avec beaucoup de leurs caractéristiques primitives. A savoir :

3. La caste gallardo

La caste gallardo a une origine semblable à la caste cabrera. Il n'en reste plus d'exemplaires purs ; les derniers subsistent chez PABLO ROMERO, mais croisés avec du jijón, du cabrera, et surtout du vázquez (plus quelques ajouts probables de vistahermosa…). A noter que le miura initial comprend aussi beaucoup de gallardo. Les toros de PABLO ROMERO sont :

4. La caste vázquez

Au milieu du XVIIIe siècle, Gregorio VÁZQUEZ, de UTRERA (Sevilla), forme une ganadería avec du bétail d'origine inconnue. Lui-même et/ou son fils et héritier (en 1778), Vicente José VÁZQUEZ, ajoutèrent des bêtes de : Marqués de CASA ULLOA, BÉCQUER, CABRERA et, après mille et une péripéties, du Conde de VISTAHERMOSA. Son objectif affiché était de créer la meilleure ganadería de son temps en rassemblant des reproducteurs des élevages les plus renommés de l'époque en vue de réunir toutes leurs qualités. Dans ce but, il sélectionna avec le plus grand soin et parvint à créer une véritable caste nouvelle, la caste vázquez :

5. La caste navarra

La caste navarra est la caste la plus ancienne de toutes en tant qu'élevage organisé. On trouve trace de l'existence de ganaderos navarrais dès le XVe siècle. Cette caste vient probablement des bêtes qui pâturaient depuis des temps immémoriaux sur les rives de l'EBRE, en Navarre comme en Aragon, et qui ont fini par peupler aussi le LEVANTE et la RIOJA ; ils contiennent certainement un apport de bos celte. Ces troupeaux ont évolué durant des siècles à l'écart des autres souches ibériques de toros de combat, ce qui a probablement contribué à leur donner des caractéristiques et une personnalité particulières :

6. La caste vistahermosa

La caste vistahermosa a été créée au XVIIIe siècle (1770) à UTRERA, dans la province de Sevilla, par Pedro Luis de ULLOA CALÍS, 1e conde de VISTAHERMOSA, à partir de reproducteurs des frères RIVAS (en particulier Tomás), dont on ignore l'origine. Il se dit parfois qu'il y aurait eu des croisements avec des étalons de caste navarra, mais ce n'est guère attesté. Il mourut en 1776, et c'est son fils Benito DE ULLOA qui a scrupuleusement sélectionné le bétail par "tentadero a campo abierto" (= acoso y derribo), envoyant à l'abattoir toutes les bêtes qui ne lui donnaient pas satisfaction. Il s'est rapidement placé en tête des ganaderos de son temps et, avec ses successeurs, ils ont tenu le haut du pavé pendant 53 ans. Au fil des années, les bonnes qualités des produits de cette origine les ont conduits à un quasi monopole dans l'élevage bravo… au détriment des autres origines. Principales caractéristiques des vistahermosa des débuts :
Ils se sont scindés en de nombreuses branches (SALTILLO [qui pourrait bien être, en réalité, d’origine navarraise…] ; MURUBE-urquijo, contreras, murube–ibarra-PARLADÉ, murube–ibarra-SANTA COLOMA ; URCOLA ; plus les croisements HIDALGO BARQUERO et VEGA VILLAR).

7. La Caste portugaise

La sélection du toro de combat n'a commencé au Portugal que fin XIXe : la lidia à cheval est moins exigeante qu'à pieds ! Dans le bassin du Tage, il y avait un bovidé sauvage, appelé "toiro de la terra" : tout comme dans les bassins de l'Ebre, du Guadalquivir, du Duero ou du Pô, du Rhône ou du Danube... C'était un "morucho" court de corps, de poil long, de cornes relevées assez semblables à celles des actuels camargues ; il constitue l'origine de la caste portugaise. Il s'est produit, évidemment, des croisements avec le bétail espagnol : cf. en 1830, le roi d'Espagne FERNANDO VII fit don à son neveu, Miguel de BRAGANÇA, de 50 vaches et 2 étalons de caste vázquez.

Dans les années 1940, huit élevages pouvaient encore prétendre posséder des bêtes lusitaniennes issues de ce 1er croisement : BRANCO TEIXEIRA (disparu) ; CASTRO E IRMAO (devenu LOURO FERNANDES DE CASTRO, encaste parladé) ; Francisco DOS SANTOS (disparu ) ; MORGADO DE BARCELOS (disparu ) ; Norberto PEDROSO (disparu ) ; ROBERTO E ROBERTO (disparu ) ; SILVA VITORINO (disparu) ; et enfin VAZ MONTEIRO, actuellement (1998) le seul des 94 éleveurs inscrits à la APCTL (Associaçao Portuguesa de Toiros de Lide) à conserver encore la race de ces "toiros de la terra" sous le nom de GANADERIA DE VAZ MONTEIRO… avec la réputation de n'être qu'une relique sans intérêt.

Ce bétail a été sauvé en tant que relique par le ministère de l'agriculture lors de la révolution agraire (1975-1977) qui a suivi celle des œillets (1974) : il ne restait plus que 37 bêtes. En 1993, VAZ MONTEIRO a récupéré 55 vaches et un étalon… et les a sauvés, en tant que "vestiges du passé", du zèle des vétérinaires qui voulaient les faire abattre pour tuberculose ! Toutefois 11 vaches sont mortes la 1e année malgré des soins intensifs. L'élevage est mené depuis par la petite fille, Rita VAZ MONTEIRO. En 1998, elle a 92 vaches et 2 étalons maison : elle commence à sélectionner depuis peu.

C'est un bétail très sauvage, très rapide, opiniâtre… Victorino MARTÍN ANDRÉS s'est intéressé à ce bétail non sans affinités morphologiques avec le sien. _ Le 24 juillet 1998, à ALTER-DO-CHAO, tout près de l'élevage, a eu lieu une "tourada" : un lot très homogène de type ("de la casa"), negro ou cárdeno, veleto et astifino, peu de morillo, beaucoup de fanon (papada), pattes fines, squelette moyen et bon trapío (460-550 kg.). Aucun n'a fléchi ; et le comportement, quoiqu'un peu inégal, a été très satisfaisant : il y a là un réel potentiel !
En 2002, l’élevage est sorti en corrida à Céret : décevant. Peu de caste, peu de force, retors… il reste du travail.
Rita a décidé, malgré l'avis de son grand-père, de croiser la plupart du troupeau avec du santacolomeño [ou du pur saltillo ?] de José CHAFIK HAMDAN (Ganadería SAN MARTÍN) ; tout en conservant un noyau sans croisement. Le romantisme y perd sans doute, mais pas forcément l'avenir : comment "conserver le sang" si on ne peut jamais le "rafraîchir" ?… Et puis, son choix reste dans le toro de caractère. Ce qui, en outre, lui va bien ! Par ailleurs, des analyses génétiques (lesquelles au juste ?) ont montré que ce bétail n'était pas profondément différent des autres toros bravos... On pouvait s'en douter par l'histoire.

Diversité génétique et avenir

L'histoire des élevages de toro bravo du XVIIIe siècle à nos jours montre un inquiétant appauvrissement du patrimoine génétique, à la fois par le biais de la disparition de nombreuses castes et par celui d'une sélection forcément de plus en plus resserrée. Plutôt liée à cet état de fait ou plutôt liée à une sélection visant à affadir le comportement et les forces du toro, on constate depuis déjà bien des années une certaine dégénérescence du toro de combat. Cela émeut les éleveurs et les aficionados…, bien plus que les businessmen du "mundillo", hélas ! Que sera l'avenir ?…
Le congrès des vétérinaires taurins de 1977 à Córdoba avait conclu à la nécessité de créer une banque de conservation de sperme et d'embryons des encastes en danger d'extinction. Depuis lors, le projet est devenu réalité grâce au consentement et au financement du ministère… et malgré les bâtons mis dans les roues par certains dirigeants de la UCTL (Adolfo MARTÍN l'a dit publiquement). Des prélèvements ont été effectués chez MIURA, PRIETO DE LA CAL, Adolfo MARTÍN et d'autres. Il en est qui se sont inquiétés de la qualité des reatas (lignées, familles) sélectionnées par les ganaderos pour cela ; mais nombre d'entre eux ont demandé à conserver pour leur propre compte une part des prélèvements : il serait bien surprenant qu'ils ne se soient pas réservé le meilleur ! On peut regretter que le gouvernement espagnol n'ait pas une démarche plus incitative par des subventions attribuée aux ganaderos participant à la réalisation du projet
Certains préféreraient que les pouvoirs publics créent une ganadería d'État, sous la forme d'une réserve ou d'une fondation. Le ministère a renvoyé la balle dans le camp des ganaderos en disant que cette réalisation ne pouvait venir que d'eux-mêmes et qu'il apporterait une aide… En tout cas, la création de la banque de sperme a le mérite d'exister, et en ces temps de vache folle, de tuberculose bovine et de "langue bleue, comment ne pas se réjouir de son existence ?…
Ces dernières années, de grandes ganaderías se lancent dans les analyses d’ADN pour déterminer leurs " familles " (reatas), pour choisir leurs étalons, et pour apparier étalons et lots de vaches. Nous entrons dans une ère nouvelle ; souhaitons que ce soit pour le meilleur !