FICHE ELEVAGE

Jaime de PABLO-ROMERO y CÁMARA

Plan : 03.02



En avril 1986, devant la décision de la famille de vendre un élevage désormais au plus bas, Jaime de PABLO-ROMERO renonce à sa carrière bancaire, s'endette lourdement et rachète la ganadería familiale, le jour même de la vente ! Il va entreprendre, au pire moment de son histoire, de sauver ce qui peut l'être. Il recherchera à retrouver le type fondamental du pablorromero avec sa morpholgie, sa vivacité, sa caste et sa bravoure d'antan. Son fer retrouvera-t-il le prestige perdu ?...
"Je suis resté 2 ans à LA HERRERÍA, où j'ai construit une plaza de tienta pour pouvoir tienter, explique Jaime. Toute la vie, les tentaderos s'étaient faits à PARTIDO DE RESINA dans une placita en forme de quart de circonférence dont les vestiges sont englobés dans les corrales actuels. Deux ans plus tard, quand j'ai réalisé la promesse de vente de LA HERRERÍA, j'ai amené les vaches à PARTIDO DE RESINA où nous avons construit une plaza de tienta en troncs d'eucalyptus, comme on faisait autrefois. Nous avons tienté là pendant 2 ou 3 ans, puis j'ai construit la plaza de tienta actuelle... 3 arènes en 12 ans !"
Il doit maintenant aménager l'unique finca qu'il peut conserver, PARTIDO DE RESINA, pour qu'elle puisse recevoir aussi les toros selon ses critères. Il sépare le troupeau de la manière suivante, afin que chaque groupe puisse avoir la nourriture et l'espace adéquats : 12 cercados (enclos) séparés pour les toros prêts à vendre (machos de saca), triés selon leur présentation et leur destination à telle ou telle catégorie d'arène ; les autres cercados étant destinés soit à des erales soit à des utreros afin qu'ils prennent du poids. Quant aux vaches, il les met dans la partie la plus éloignée des terres, près de la marisma d'Aznalcázar. Il lui faut aussi assainir les pâturages, envahis de parasites dangereux pour les bovins.
Dans le troupeau, il abat prioritairement le bétail devenu trop éloigné du type (fuera de tipo) du pablorromero classique, en raison de la pression ambiante pour le toro énorme. Le pablorromero est devenu trop "grand" (haut), moins puissant (moins musculeux) et moins rond. Rien n'empêche, certes, de le sortir en piste gros ; mais il est trop gras, selon la tendance du moment, et tout cela le banalise en lui enlevant son originalité, peut-être sa caste. Il est toujours risqué de sortir du type d'un encaste, surtout si on le fait très vite...
Voici donc tout le bétail installé à PARTIDO DE RESINA, finca jadis réservée aux seules vaches. Tout est reconstruit : les cercados préparés, les pâturages conditionnés, les installations affermies... et les peintures refaites dans la mesure du possible. Dans les livres de la ganadería, ceux qu'ouvrit pour la première fois son arrière-grand-père, Felipe de PABLO y ROMERO , Jaime cherche à comprendre la "philosophie", comme il dit, de la ganadería ; en les étudiant, il suit une à une les différentes familles qui composent le troupeau. La réalité semble cependant beaucoup plus ardue à affronter. Les négligences de la fin des années 50 (cf. la ganadería de cette époque) ont créé une rupture, et les héritiers de son frère Felipe ont refusé de céder ses notes sur l'élevage. D'autre part, les livres des PABLO-ROMERO ne contiennent que des notes succinctes sur le comportement des toros en piste et sur la tienta des vaches retenues ; RIEN sur les pères des toros, du moins jusqu'à José Luis. RIEN sur les "familles" de la ganadería ! RIEN sur la filiation des sementales ! Pour sélectionner, Jaime ne peut que se fier au physique et aux notes de tienta prises pour lui-même par Manolo, ou par le père de ce dernier.
Ne transigeant pas sur l'essentiel, il sélectionne avec une rigueur extrême et dans le type traditionnel (ou plutôt devenu tel vers les années 20...) afin de retrouver le glorieux toro de ses ancêtres. Le bétail commence à devenir plus petit (plus bas). Il envoie à l'abattoir un grand nombre de bêtes.
Mais les résultats ne viennent pas ou, plutôt, ils sont extrêmement irréguliers. Espoir en 1986 ? Descente aux enfers en 1987 sauf en fin de temporada. Confirmation du problème en 1988, marquée par l'échec de la centième corrida madrilène du fer (faiblesse et mansedumbre)... mais pour finir, Almería et surtout Úbeda, excellent, raniment la flamme. Personne n'a songé à fêter avec éclat ce 100e anniversaire ! Au contraire, le magnifique entêtement de Jaime et sa volonté de perpétuer l'éthique hautaine de ses aïeux l'ont coupé du mundillo qui ricane de ses ennuis financiers. Pire, nombreux sont ceux qui se réjouissent de la dérive de sa ganadería et pronostiquent sa fin prochaine. Du côté des empresas, personne ne lui tend la main, à part la casa BALAÑA. Invivable ! 1989 fait renaître l'espoir avec un grand toro qui fait une vuelta al ruedo, digne même de Madrid, le 26 mars à Cabra. Malgré le parcours en dents de scie, l'aventure semble encore jouable : si dans les grandes arènes les pablorromeros, trop lourds pour sacrifier à la mode, déçoivent la plupart du temps, dans celles de moindre importance, là où ils sortent en arborant un physique comparable à celui de leurs aïeux, on retrouve de plus en plus souvent la noblesse encastée qui forgea leur légende.
Mais il faut dire un mot de 1988, l'année du centenaire. Celui-ci aurait dû être fêté avec éclat : d'un prestige à peine moindre que MIURA, la ganadería se distingue elle aussi par le "sérieux" de ses toros. Il n'en a rien été. Les changements trop nombreux, et pas toujours judicieux, de titulaire de la ganadería ont entraîné un manque de continuité et de rigueur dans la politique de sélection. La bravoure légendaire des pablorromeros a baissé, une faiblesse navrante est apparue. S'y ajoute le désintérêt des figures pour ces toros "trop difficiles". Il faut se rendre à l'évidence, la ganadería est désormais sortie des circuits taurins... Sa rentabilité est devenue problématique. C'est la crise. En fait de centenaire des pablorromeros, ne sera fêté que celui des arènes françaises de Nimes, en 1994 (1ère corrida de PABLO-ROMERO à Nimes le 2 septembre 1894, avec "REVERTE" et "QUINITO"), grâce à l'action de l'association locale des "Amis de PABLO ROMERO" et à la bonne volonté de l'empresa.
Dans les années 90, les pablorromeros courent souvent dans les pueblos. C'est encore une période d'altibajos. Pour quelques exemplaires enfin "retrouvés" qui donnent à espérer (surtout des salpicados), beaucoup sortent mansos et décastés... quand ils ne roulent pas à terre. Aux chantres du "toro artiste", Jaime continue pourtant courageusement d'opposer le toro qu'il rêve de retrouver : le "toro complet", aux trois tiers.
"Trois années de sècheresse terrible ont rompu l'équilibre fragile auquel j'étais parvenu, raconte Jaime. De 1993 à 1995, ce fut le Sahel, ici. Jusque là, j'arrivais à payer les banques. J'avais acheté à BENGOA au prix où la ganadería avait été estimée lors de la vente globale (presque 300 millions de pesetas). C'était le moins que je pouvais faire vis-à-vis de mes frères et soeurs." Seule solution pour sauver la ganadería, vendre une partie de la finca : le voilà obligé de vendre une partie des terres de PARTIDO DE RESINA (250 des 650 ha.) et de réduire de moitié le nombre des reproducteurs pour s'adapter à la surface disponible. Mais alors, la finca tombe en-dessous du seuil de rentabilité ; il n'est plus possible de vivre en autarcie. Il faudrait beaucoup de temps et beaucoup d'argent ; les temps actuels ne le permettent plus guère, surtout dans ces conditions : les arènes modestes ne suffisent malheureusement pas à faire vivre une ganadería. Accablé par les frais financiers de son emprunt, affaibli par cette longue sècheresse qui grève ses réserves, Jaime s'épuise faute de débouchés suffisants. Le voici a quia. Il faudra vendre sans laisser la situation empirer inutilement.
Fin 1995, le ganadero lance encore un appel désespéré car il ne peut plus continuer ; les empresas lui tournent le dos, une fois encore... Toutefois début 1996, alors qu'une seule de ses 7 corridas est retenue, son cri d'alarme trouve de l'écho : les propositions affluent... mais à des prix très bas. Ce serait sauver aujourd'hui en détruisant demain. Jaime de PABLO-ROMERO envisage d'abattre toute la vacada, de vendre la finca et de conserver des embryons congelés de ses meilleurs reproducteurs dans l'attente de jours meilleurs... un jour ! C'est alors qu'il trouve acquéreur pour un prix convenable. Le fameux élevage va sortir de la famille fondatrice : en avril 1996, après exactement 10 ans de vains efforts, un compromis de vente est passé avec un industriel. A la sauvette. Comme dans la honte.
C'est là qu'intervient le projet de Fondation initié par les "AMIS DE PABLO ROMERO" à Nimes. Car des bruits se sont répandus et, émus des risques de disparition que fait courir à cette ganadería emblématique son rachat éventuel par un groupe financier plus intéressé par les terres que par le troupeau qui les occupe, ces quelques aficionados français sont passés à l'action. Jaime raconte : "J'ai vu alors débarquer de Nimes ces fous merveilleux qui me demandaient de casser le compromis de vente et arrivaient avec les 65 millions de pesetas (2 millions de francs) nécessaires pour payer le dédit. Ils avaient un projet de fondation. Au moment où tout semblait perdu, pour ma famille et moi, c'était un espoir extraordinaire."
Et voici que le 19 mai 1996 à la corrida concours d'Alès, "GALLINITO" _ celui qui est placé ici en en-tête _, de PABLO-ROMERO, obtient le prix après avoir été assez mal toréé par "EL FUNDI" (malgré son cou plutôt long pour un pablorromero, c'est un toro qui charge "à l'ancienne" : en humiliant peu, comme on peut le voir sur cette photo). Voici le compte-rendu de Joël BARTOLOTTI dans la revue nimoise "TOROS" (N°1529, pp.3-4) : "GALLINITO", de la plus que centenaire et légendaire ganadería de Pablo-Romero, ouvrit la course du haut de ses presque six ans ! Cet animal magnifique et sérieusement armé, un cárdeno claro d'une beauté rare, estampe et porte-fanion à la fois de l'élevage, livra un très honorable combat face au cheval, malgré deux fléchissements peu rédhibitoires. Placé de plus en plus loin de la cible équestre et la chargeant en quatre rencontres avec classe et alegría, il ne manqua à l'andalou qu'un peu plus de puissance, de sauvagerie et d'insistance sous le matelas pour être un grand toro. "FUNDI", prudent, avec sans doute en tête la blessure de Valdepeñas et les six printemps du tío, ne sut pas exprimer muleta en mains _ faute d'engagement _ les réelles qualités de ce bicho âgé et encasté. Le cornu se battit bouche cousue et, comme ceux de son âge, sérieusement et brièvement, avant de périr sous un pinchazo et une épée basse du maestro castillan fort décevant. Ce sera le toro primé par le jury malgré les réserves susénoncées. Ce rayon de soleil était-il de bon présage ?...

Le projet de Fondation PABLO-ROMERO
Jaime de PABLO-ROMERO raconte encore : "On faisait 8 à 9 corridas annuelles sans augmenter le nombre des vaches. On n'acceptait aucune manipulation des toros et on maintenait la race en pureté. Mauvaise éducation pour les temps modernes ! Sinon, on aurait pu survivre. La situation était devenue tellement limite que j'ai été obligé de vendre. La rumeur s'est répandue. Et les "Amis de PABLO-ROMERO" sont venus me voir à Sevilla. Ils avaient un projet de fondation. Au moment où j'étais enfoncé complet. J'étais avec des fous ! Pour moi et ma famille, c'était une merveille extraordinaire." Mais qu'en est-il exactement ?
La Fondation projetée est destinée à assurer l'aspect financier tout en laissant la direction technique à l'éleveur. Elle requiert au moins 100 millions de pesetas [soit 8 millions de Francs ; 1,2 millions d'euros]. Une seconde fois, Jaime de PABLO-ROMERO rattrape les choses sur le fil : malgré les frais afférents (pas un sou du dédit ne lui est épargné ; le romantisme n'est décidément plus de ce monde), il casse sa promesse de vente et reprend la propriété de la ganadería pour se lancer dans l'aventure du sauvetage.
Les aficionados, particulièrement les Français, font plus que remplir leur contrat. Mais les grandes entreprises, forcément espagnoles, non ! Car d'une part la corrida n'est pas toujours une très bonne image, mais surtout il ne manque pas d'obstructions malveillantes jusque dans les hautes sphères. Dans son ensemble, le mundillo fuit comme la peste l'éventualité de voir revenir un toro plus sauvage, plus mobile, plus encasté... et, plus encore peut-être, des gens qui font preuve d'indépendance d'esprit.
Fin 1997. Le projet de Fondation a échoué. Il ne reste plus qu'à vendre, la mort dans l'âme... plutôt que d'envoyer toutes les vaches à l'abattoir dans un geste romantique et désespéré. A un industriel, Antonio MORALES, dit "EL TICO", désireux de conserver l'encaste, plutôt qu'à quelque grand nom du mundillo qui s'avérerait sans doute un jour avoir tout fait par-dessous pour que la Fondation ne réussisse pas et qui aurait beau jeu de se présenter ensuite comme le sauveur [plus tard, de mauvaises langues feront courir avec insistance le nom de Juan Pedro DOMECQ...]. Moralement et financièrement, la tentative de Fondation et son succès auprès de l'aficion permettent au moins aux PABLO-ROMERO une sortie honorable, la tête haute. Financièrement, le ganadero est quitte : la vente couvre même les frais du dédit de 1996.
Au 1er janvier 1998, la célèbre ganadería devient PARTIDO DE RESINA. La société "PARTIDO DE RESINA, SL" conserve dans la finca, l'élevage, le fer, l'ancienneté, la señal et la devise, mais pas le nom. L'élevage PABLO ROMERO est resté aux mains de la même famille ganadera pendant 112 ans... Humour un peu grinçant des événements : les dernières tientas encore estampillées PABLO-ROMERO se déroulent début avril 1997 avec Tomás CAMPUZANO, Fran RIVERA ORDÓÑEZ, José Luis MORENO, CHAMACO et Miguel RODRÍGUEZ. Les résultats sont absurdement bons : caste, mobilité, vivacité sont là, et bien là...

Pour plus de détails sur cette opération unique dans l'histoire, justifiée par la légende des pablorromeros et la généreuse rigueur, plus que centenaire, d'une grande famille, voici le compte-rendu qu'en donne la revue nimoise TOROS sous le titre de ;PABLO ROMERO, LA FIN DE L'HISTOIRE :
" (...)On a précisément collecté 4.002.750 F., dont 53 % en France _me déclare Serge SANCHEZ [président de Amis de PABLO ROMERO, ici aux côtés de Jaime de PABLO-ROMERO, et responsable de la Fondation en France]_ dans les poches de afición, car nous n'avons pas perçu un seul franc dans celles des entreprises." Or pour obtenir l'agrément de la Fondation il fallait réunir entre 8 et 10 millions de francs et donc l'engagement financier des entreprises espagnoles. L'objectif des fondateurs était d'obtenir 2.000.000 de francs chez les aficionados qui donnèrent donc plus du double (3.251 donateurs pour la France [Note de 'Toro-Genèse' : 5.663 en tout]) ! La mobilisation fut donc réelle dans le peuple du toro que SANCHEZ et ses amis remercient chaleureusement. "Aujourd'hui, l'intégralité des fonds collectés a été remboursée tant en France qu'en Espagne. Seule la somme de 18.543 F., que certains donateurs n'ont pas voulu reprendre, nous a servi à participer à dûe concurrence aux inévitables dépenses engagées pour l'opération."
Pour entrer dans les détails comptables, la perte totale d'un montant de 113.000 F. (courrier, gestion, imprimerie...) a été supportée à hauteur de 27.000 F. par le Club Taurin LES AMIS DE PABLO ROMERO, à hauteur de 18.593 F. par les généreux donateurs, et à hauteur du solde par les "cabales", les intimes de Don Jaime. A quitarse el sombrero! Sans tenir compte bien sûr de l'énorme travail des bénévoles pour porter la bonne parole en France et ailleurs, des nombreux voyages en pure perte, de l'abondant courrier et de l'impression du journal que tous les aficionados ont eu un jour entre les mains. Environ 5.000 personnes ont mis la main à la poche.
"Cette mobilisation a manifestement fait peur, car les entreprises espagnoles qui étaient initialement décidées à soutenir la cause, ont reculé la jambe sous la pression occulte de conseillers avisés et plus ou moins mafieux du mundillo qui a horreur de ce qu'il ne contrôle pas." [Note de 'toro-genèse' : 75 entreprise avaient été contactées... et rien ! Certains ont trouvé que c'était "Une idée extraordinaire"... et ne l'ont même pas dit publiquement ! Pourquoi des arènes comme Santander et Almería ne prendront-elles pas les corridas qu'elles avaient demandées pour 1997, et ce sans la moindre explication ? etc., etc.] Ce courant international (France, Espagne, Portugal, Italie, Colombie, Mexique, Angleterre, Irlande, et Belgique) a inquiété l'establishment taurin. L'État espagnol n'a pas réagi (nationalisation) malgré le risque de perte d'un fer mythique, privé certes mais pouvant être considéré comme une parcelle du patrimoine national. En vérité personne n'a souhaité solliciter l'État pas plus que la couronne, car le ganadero a seulement voulu toucher les aficionados. Quelques langues acerbes et mondaines ont alors cru bon de railler la "première ganadería d'initiative populaire". "Si tout était à recommencer, je le referais _ déclare Serge SANCHEZ _ car n'oublions pas que Jaime, pour accepter le projet de fondation et lâcher la proie pour l'ombre, a dû casser la promesse de vente signée à la sauvette, et payer un gros dédit en pure perte. En outre, les nombreuses réunions publiques ont permis de fertiliser l'afición et de resserrer les liens."
"Tout est perdu fors l'honneur", a dû penser PABLO-ROMERO à l'instar du roi François au soir de Pavie, car l'échec de la Fondation impliquait le retour à la case départ : la vente. Officiellement donc, c'est une Société Anonyme qui vient d'acquérir la finca "PARTIDO DE RESINA" et son cheptel. Le vendeur avait reçu plus de 20 propositions de rachat (et pas des moindres, on parle même d'un ganadero de postín... Juan Pedro soi-même, dit-on !).
De son bureau de la Plaza Nueva, il a personnellement suivi les discussions sans chercher la surenchère et le plus offrant car son prix était fixé dès le départ. L'essentiel pour lui a été ce que les juristes appellent l'intuitu personae et les anglo-saxons le feeling, c'est-à-dire une transaction basée plus sur des considérations humaines que financières, et sur le contact direct sans intermédiaire. "Après moi le déluge !", c'est Louis XV. Don Jaime a voulu, lui, sauvegarder le fer, l'encaste et le personnel. Les clauses du contrat ont donc prévu : la reprise de l'intégralité du personnel et du mayoral dynastique Manolo MUÑOZ, mais aussi la possibilité pour l'acquéreur de faire lidier [Note de 'toro-genèse' : un temps] les toros sous le nom de GANADERÍA DE PARTIDO DE RESINA "antes PABLO ROMERO" (antérieurement PABLO ROMERO). Antonio MORALES, le cessionnaire personne physique, n'est pas issu du monde taurin. Il est Sévillan, vit à Séville et est donc le P.D.G. de la S.A. propriétaire. C'est un homme discret et j'ai pu savoir qu'il n'était pas pressé, qu'il voulait _là est l'essentiel_ conserver la pureté de la race (sans élimination ni croisement) et tenter de reconquérir le lustre passé. Ses moyens financiers étant très importants, il pense revoir la nutrition du bétail et augmenter la surface de la propriété sur les conseils du mayoral Manuel MÚÑOZ (4e du nom). Le P.D.G. a confié la gestion matérielle de l'affaire à un gérant technique et a souhaité rapidement rencontrer le Club PABLO ROMERO de Nîmes et les aficionados qui se sont impliqués dans la cause pour leur confirmer ses intentions bienveillantes. L'homme paraît conscient de la rareté d'un produit unique et c'est tant mieux. D'ailleurs la ganadería est annoncée à Madrid pour San Isidro, gage de changement dans la continuité, comme dirait Giscard.
Dernier acte, l'avenir : le Club Taurin LES AMIS DE PABLO ROMERO, loin de se dissoudre pour consommation de l'objet social, garde le vent en poupe et va soutenir évidemment le repreneur en se rendant régulièrement aux courses qui seront données ici et ailleurs.
L'Assemblée générale du 6 mars 1998 s'est fixée deux objectifs : la conservation de la mémoire de la ganadería PABLO-ROMERO et l'action pour le maintien de l'encaste. Don Jaime et son épouse, enfin et surtout, ont décidé de faire sortir d'Espagne toute l'histoire de la ganadería et d'en faire une sorte de donation rémunératrice au club français !
A quitarse el sombrero otra vez ! Le club, qui a accepté cette responsabilité, va donc rassembler et gérer tous les documents remis (têtes de toros historiques naturalisées, affiches, pièces diverses, meubles meublants). Tout est déjà chez nous à Nîmes et il reste à trouver le plus difficile, c'est-à-dire la formule pour entreposer et exploiter au mieux cette richesse taurine. Musée privé ? Mise à disposition d'un musée public ? Mairie ? Conseil Général ? Wait and see. Don Jaime n'a rien conservé et ne conservera rien, sauf la tête du fameux toro "POTRICO" qu'il destine au musée de la Monumental de Barcelone.
Les trophées, les carteles, le hierro, les sonnailles, le portrait dédicacé de "GALLITO", la selle de l'abuelo
[et les livres historiques de la ganadería encore en sa possession] sont pour la France. C'est un grand honneur qui va bien au-delà de l'amitié et de la gratitude et confirme si besoin était la force et la vitalité de l'afición française. Don Jaime justifie son geste ainsi : "C'est l'afición française qui m'a le plus soutenu moralement et financièrement, il est donc juste que lui revienne exclusivement ce patrimoine taurin." La route sera encore longue ! SANCHEZ rêve de retrouver la trace des mille y pico corridas de PABLO-ROMERO célébrées depuis les origines et fixe pour ambition à son club de devenir une sorte de Conservatoire taurin de l'histoire d'un élevage mythique, comme "LOS DE JOSÉ Y JUAN" l'ont fait à Madrid pour célébrer la mémoire de "GALLITO" et BELMONTE avec le succès que l'on connaît. ¡ Suerte para todos !"
(Joël BARTOLOTTI. TOROS N°1577/8, pp.5-7)
Dans son interview donnée à André VIARD pour son N°10 de TERRES TAURINES (dont viennent aussi pas mal de compléments apportés à Toro-Genèse), Jaime précise, 10 ans plus tard : "Juan Pedrito DOMECQ fut alors un des candidats à la reprise. Il voulait tenir en mains trois des noms les plus prestigieux : le sien, PARLADÉ ET PABLO-ROMERO. Il est venu en janvier visiter la finca (...) On m'a reproché de vendre la ganadería à un parvenu, mais qu'étions-nous, au fond, les PABLO-ROMERO, quand mon aïeul Felipe décida de devenir ganadero pour augmenter le prestige de son nom ? Je n'ai pas laissé le nom pour éviter toute spéculation. TICO me l'a demandé plusieurs fois et m'en a offert une fortune. Je crois que si j'avais cédé, la ganadería aurait déjà été revendue. Pour éviter qu'il ne soit tenté ou qu'il se lasse en cas de mauvais résultats, j'ai dit à TICO : vis le campo, respire le parfum de la marisma, ancres-y ta vie, passionne-toi pour les becerros, vois les naissances. Sans cela tu ne pourras jamais vraiment aimer ta ganadería. Voir un petit mâle naître, se lever, faire ses premiers pas et sa mère qui le lèche... la beauté du campo est inégalable. Il faut la faire connaître aux enfants. La nature est une école de la vie. Vois comment les vaches se relayent pour garder les becerros quand les autres vont manger... Tout cela, mon père me l'enseigna sans jamais me parler. Je le lisais dans ses yeux, jusqu'au respect envers le toro. Un ganadero qui respecte ses toros veille sur leur dignité. Je ne connaissais rien au monde des toros, mais j'en avais entrevu la grandeur chez mon père ; je l'ai apprise à travers lui. Mais comme j'étais instable et que je changeais d'activité tous les quatre ans, cela n'a pas incité mon père à me faire confiance. Quand un projet fonctionnait, j'allais voir ailleurs. De la banque, je suis passé à diriger une société immobilière, une cimenterie, une clinique. A Barcelone, je me suis occupé de commerce extérieur ; j'allais travailler là-bas 'comme les pauvres émigrants andalous', disait le père de Manolo [le mayoral]. Au bout du compte, c'est la ganadería qui a représenté la plus longue période professionnelle de ma vie. Les plus belles années aussi. Grâce à elle, j'ai retrouvé mes racines." La page est tournée. Reste, pour la légende, la création d'un encaste absolument unique, incomparable. Reste l'honneur d'une famille sans concessions dans le respect de l'intégrité du toro et prête à accepter pour cela tous les risques.

Toros célèbres
On peut tout de même constater que l'élevage n'a pas tout perdu. Par exemple :
° Le 4 octobre 1987 à Úbeda, "TAMBORILERO" et "ALEGRÍO" reçoivent une mention spéciale pour leur bon comportement.
° Le 19 mai 1996 à Alès , "GALLINITO" [en en-tête de cette fiche élevage] gagne la corrida concours. "Cet animal magnifique et sérieusement armé, un cárdeno claro d'une beauté rare, estampe et porte-fanion à la fois de l'élevage de PABLO-ROMERO, livra un très honorable combat face au cheval, malgré deux fléchissements peu rhédibitoires. Placé de plus en plus loin de la cible équestre et la chargeant en quatre rencontres avec classe et alegría, il ne manqua à l'andalou qu'un peu plus de puissance, de sauvagerie et d'insistance sous le matelas pour être un grand toro. "EL FUNDI" prudent, avec sans doute en tête la blessure de Valdepeñas et les six printemps du tío, ne sut pas exprimer muleta en mains _faute d'engagement_ les réelles qualités de ce bicho âgé et encasté. Le cornu se battit bouche cousue et, comme ceux de son âge, sérieusement et brièvement." (Joël BARTOLOTTI, revue "TOROS" N°1529) "Voilà le type du toro que je voulais retrouver", confiera quelques années plus tard Jaime de PABLO-ROMERO en revoyant la photo de "GALLINITO".
° L'ultime apparition des toros de la famille PABLO ROMERO, propriété de Jaime, sera le dimanche 1er juin 1997, avec au cartel Jose Pedro PRADOS "EL FUNDI", Domingo VALDERRAMA et Ángel de la ROSA. Extrêmement décevante. Bien présentés mais décastés, dangereux et mansos ; le 6e est refusé pour invalidité, et le 3e en méritait autant. Seul le 2e sauve le lot d'un naufrage total. Mais...
° En 1.999 à Madrid (c'est désormais la ganadería PARTIDO DE RESINA, mais toujours la sélection de Jaime de PABLO-ROMERO), "JOYERITO" ("petit joyau"), N°42, cárdeno, de cornes asaltilladas impressionnantes, est élu par le Conseil Général des Collèges Vétérinaires d'Espagne meilleur toro de la feria de la San Isidro... malgré "EL FUNDI" loin de son sommet. C'est le 4e pablorromero de l'histoire à recevoir ce prix. Quel dommage que le FUNDI n'ait pas eu à cette époque la confiance et la maturité qui seront les siennes 5 ans plus tard... mais on ne refait pas l'histoire.


Les événements


Date : 04/1986
  • Cession de bétail :
    L'élevage José Luis de PABLO-ROMERO y CÁMARA : Ganadería de PABLO-ROMERO vend à l'élevage Jaime de PABLO-ROMERO y CÁMARA la totalité de ses têtes de bétail (encaste pablorromero).

  • Transfert/Cession de lieu :
      finca LA HERRERÍA sur la commune Sanlúcar la Mayor (Sevilla)

  • Transfert/Cession de lieu :
      finca PARTIDO DE RESINA sur la commune Villamanrique de la Condesa (Sevilla)

    Il semble que la finca VENTA NEGRA ait été vendue précédemment ; Jaime vend rapidement LA HERRERÍA (au bout de 2 ans), en raison du besoin de liquidités lorsqu'il prend possession de la ganadería. Il ne reste désormais qu'une seule finca (en fait rachetée en décembre 1986 seulement). Signe des temps...

  • Création :

  • Remarques :
    En fait, ce n'est pas directement à sa famille que Jaime de PABLO-ROMERO y CÁMARA achète la ganadería : il la rachète, le jour même de la vente, à un industriel sévillan auquel elle venait d'être cédée. Ainsi s'explique le décalage de quelques mois entre la récupération de PARTIDO DE RESINA et l'achat du troupeau lui-même.

Date : le 01/01/1998