FICHE ELEVEUR

Jaime de PABLO-ROMERO y CÁMARA


naît : 1939
meurt :


En avril 1986, devant la décision de son frère José Luis et de ses autres frères et soeurs de vendre leur élevage désormais au plus bas, Jaime de PABLO-ROMERO, le petit dernier de la famille, tente un ultime effort pour sauver ce fer de légende. En accord avec son épouse "MENCHU", il renonce à sa carrière bancaire, s'endette lourdement et, le jour même de la vente, rachète la ganadería à l'industriel sévillan qui venait de l'acquérir (cf. les détails dans la fiche de José Luis). Manolo MUÑOZ, le mayoral, accepte de courir l'aventure lui aussi ; ganadero et mayoral appartiennent, chacun pour sa part, à la 4e génération de leur famille en charge des pablorromeros. Une grand bataille commence... d'autant plus que les héritiers de son frère Felipe avaient refusé, en 1980, de céder les livres de l'élevage : il faut repartir à l'aveuglette. On le voit ici, en en-tête, dans le feu de l'action pour soutenir le projet de Fondation (voir plus bas), puis à côté, en couleurs, 10 ans plus tard, empreint d'une nostalgie apaisée...
Rien ne préparait Jaime à ce nouveau métier. Il raconte : "Du temps de mon père (un autre José Luis), je n'étais jamais allé aux tientas quand j'étais enfant. Il m'a toujours considéré comme un farfelu. J'étais l'avant-dernier de 10 enfants et il ne me parlait jamais : il avait 50 ans quand je suis né, nous avions beaucoup de différence d'âge et il y avait 4 garçons avant moi ; je n'avais pas droit à la parole. Après avoir triplé mon bac, je suis allé à Madrid étudier le droit bancaire. Jusqu'à mon premier poste de directeur de banque à Séville, il ne m'a pas pris au sérieux. Quand la crise de la ganadería était devenue évidente, il s'était rendu compte que nous étions 10 héritiers, dont 5 beaux-frères potentiels ce qui représentait un danger de partition, d'autant plus grand qu'il n'avait jamais laissé ses filles se passioner pour les toros. Alors, au lieu de nous transmettre à tous cet amour pour le toro, il avait choisi de nous enlever du milieu en nous offrant une carrière et en misant tout sur Felipe, qui lui semblait le plus apte pour lui succèder car il le trouvait plus raisonnable... plus semblable à lui. Mon grand regret est de n'avoir jamais parlé de toros avec mon père. Je n'ai jamais osé. Et à peine avec mon frère Felipe, car les choses étaient ainsi. Chacun recevait une part de responsabilité et n'avait pas à se mêler de celle des autres. Felipe était désigné pour être l'héritier de la ganadería dès la fin de ses études. Ce que je conserve, ce sont des souvenirs visuels, la façon qu'avait mon père de traiter les gens, son sérieux en toutes choses." Rien ne l'avait préparé : qu'est-ce qui le motivait donc ? Probablement exprime-t-il une motivation intime dans ce pudique aveu : "Je crois que mon père aurait été fier de me voir entreprendre cette aventure pour sauver nos toros".
Cela ne signifie pas qu'il se lance dans l'inconscience. "Ma femme était prête à me suivre dans cette folie, à jouer tout ce que nous avions, explique Jaime. Combien de temps durerions-nous ? Deux ans, quatre ans, dix ans ? J'estimais qu'il en fallait vingt pour retrouver un bon niveau... Tout était à faire, en commençant par acquérir et conditionner la finca de PARTIDO DE RESINA qui allait recevoir tout le troupeau. Pendant les 2 premières années, seuls les mâles l'occupèrent tandis que j'avais ramené à LA HERRERÍA toutes les femelles. Heureusement, je savais pouvoir compter sur Manolo, le mayoral, sur ses fiches ; il avait aussi beaucoup de notes de son père : il fut ma seule passerelle vers la génération précédante [les héritiers de Felipe "III" n'ont jamais voulu donner leurs livres de la ganadería !]. Il me disait : il faut faire ça, ça, ça... et je n'avais pas d'argent. J'ai passé des nuits à étudier nos livres pour comprendre la philosophie du troupeau. Les frères CAMPUZANO m'ont beaucoup conseillé, Pedro BALAÑA aussi. D'autres se sont proposés que j'ai refusés. " Après coup, Jaime reconnaît : "Ce furent 12 années difficiles. Une nouvelle vie. J'ai appris sur le tas un nouveau métier. J'y ai consacré tout mon temps, c'était la seule solution... et mon plus grand plaisir. Des moments inoubliables. Mais je me souviens aussi de Noëls désespérés quand nous n'avions pas les moyens d'acheter de beaux cadeaux à notre fille... Ce fut la période de ma vie la plus heureuse, en même temps que la plus difficile. Mais je savais que j'avais fait un placement solide et que si je n'étais plus capable d'assumer, il me resterait toujours la possibilité de vendre. Aujourd'hui, avec des intérêts bancaires à 2,5 %, l'affaire serait jouable. Mais j'avais emprunté à 18,5 %. Je payais tous les ans 25 millions de pesetas d'intérêts. En fait, j'ai travaillé pour mes banquiers."
Pour faire face au coût financier de l’opération, Jaime doit se résoudre à vendre la finca LA HERRERÍA, qui était pourtant le coeur traditionnel de la ganadería ; ultime bastion de l'empire agraire des PABLO-ROMERO, elle quitte à son tour le giron familial pour accueillir la 1ère unité de production d'énergie solaire européenne : les panneaux solaires remplaceront les toros, tandis que la bâtisse sera fermée et que les herbes folles envahiront les lieux ; quelques comedores [mangeoires] de pierre dispersés sous les encinas restent seuls à témoigner encore du passé, avec la placita qui se décrépit. Quelques années plus tard, il est obligé de vendre aussi une partie (250 des 650 hectares) des terres de "PARTIDO DE RESINA" (rachetée seulement le 22 décembre 1986), et de réduire en conséquence le nombre des reproducteurs afin que la ganadería soit vivable. Après avoir aménagé la finca pour qu'elle puisse les recevoir aussi, Jaime rapatrie les machos à PARTIDO DE RESINA, jusque-là réservée aux vaches. Son intention est maintenant de retrouver le toro créé par sa famille avec son type, sa vivacité, sa caste et sa bravoure. Les pablorromeros revivront-ils ?
Malheureusement le courageux projet n'aboutira pas. Victime du taux des emprunts (18,5 %). Victime d'une longue sécheresse de 3 ans qui augmente les coûts alors que les moyens restent limités : jusqu'à empêcher certaines améliorations qualitatives de la nourriture (pienso) et certains traitements vétérinaires complémentaires d'ordre sanitaire. Victime de la durée nécessaire pour remonter une ganadería, et de résultats en dents de scie qui mettent les ventes en chute libre. Victime enfin de la mauvaise volonté de beaucoup, trop heureux de faire rentrer dans le rang une famille de contradicteurs quelque peu hautains (ils auront beau jeu d'accuser, assez injustement et en tout cas "vachement", le ganadero de mauvaise gestion).
Malheur à qui se refuse à entrer dans le "système" des puissants du mundillo, serait-ce pour des raisons d'honneur et d'éthique taurine ! Tel la mule du pape, le mundillo fait payer l'addition, maintenant que les atouts sont dans sa main. Le projet de fondation, initié par "Les Amis de Pablo-Romero" à Nimes, échoue [voir la fiche de la ganadería]. Il faut vendre. Juan Pedro DOMECQ SOLÍS, qui semble avoir beaucoup "cassé" par derrière, est sur les rangs ; il consentirait même à accepter toutes les conditions du vendeur (ne pas croiser, garder le mayoral) et il garantirait la sortie des pablorromeros dans les grandes arènes (ses toros ne sont-ils pas très demandés par les vedettes ? cela donne un certain pouvoir...). Victorino MARTÍN, lui aussi, manifeste un intérêt pour ce fer prestigieux... Mais Jaime de PABLO-ROMERO, sans doute blessé par l'attitude du mundillo à son égard, préfère un non taurin : Antonio MORALES, dit "EL TICO" ; il accepte de ne pas croiser, de garder le mayoral et de garder le fer sans acquérir le nom [que seuls "Les Amis de Pablo-Romero" à Nimes pourront désormais afficher].
La veille du 31 décembre 1998, jour convenu pour la remise des clés, Jaime fait un dernier tour de ses cercados, seul, à pied. Il n'y reviendra jamais. Au fond de lui, inconsolable... Il y a pourtant mis tout son coeur, et il en est sorti tête haute.