FICHE ELEVEUR

Felipe de PABLO y ROMERO


naît : 1810/1840
meurt : 1906


Les PABLO et les ROMERO sont deux familles d'éleveurs de moutons (laine et viande) originaires de Soria, dans la Rioja (Castille) : une vallée désolée. Ils ont coutume de descendre vers le sud andalou pour passer l'hiver sur des terres louées. Dans les années 1853/1860 (ou plus tôt ? cf. ordonnance d'exclaustration de MENDIZÁBAL en 1835), les biens des institutions et communautés religieuses sont déclarés propriété nationale et mis en vente, à charge pour l'État d'assurer des ressources suffisantes au clergé. En Andalousie, en raison de la spoliation, et peut-être pour éviter le rachat par de riches familles du cru, ce qui favoriserait le phénomène des latifundia, une bulle papale menace d'excommunication les nobles andalous qui en achèteraient. Les familles PABLO et ROMERO n'étant ni nobles ni andalouses, elles calculent qu'il est plus avantageux pour elles d'acheter des terres que d'en louer ; elles en acquièrent et viennent s'installer à Séville. L'enrichissement est rapide. Les familles PABLO et ROMERO font partie de cette nouvelle bourgeoisie terrienne qui vient occuper le devant de la scène, autrefois réservé aux "Grands" de la noblesse ou du clergé.
Au milieu des années 1880, Felipe de PABLO y ROMERO est un riche propriétaire terrien. Il loue les 2000 hectares de ESPARRAGAL et CANTA EL GALLO à Guillena. En 1877, il a hérité de Pedro ROMERO-BALMASEDA, frère de Ramón ROMERO-BALMASEDA BARBIERI et oncle de sa femme, 1.804 hectares de BENAZUZA et de EL ÁSPERO, à Sanlúcar la Mayor. Au début des années 1880, il y adjoint 1.486 hectares dans la marisma, avec ROJAS NEGRAS à Puebla del Río, et PARTIDO DE RESINA à Villamanrique de la Condesa. _ S'y ajouteront, début XXe, 2.493 hectares avec LA HERRERÍA à Sanlúcar la Mayor. _ Mais au total, ses propriétés (plus quelques locations) s'étendent sur quelque 15.000 hectares. Une centaine de familles travaillent sur son immense domaine. BENAZUZA, qui hérite d'une histoire antique prestigieuse, et qui trône sur Sanlúcar, est le symbole de sa puissance. Mais il n'est reçu par la "bonne société" sévillane que comme un paysan, tenu à part de l'aristocratie et de la bourgeoisie locales. Que faire ?... Faire comme eux ! Puisque les bravos sont à eux, ayons une ganadería de haute lignée pour nous faire admettre. Avoir une telle ganadería donne du prestige et ouvre les portes de ce milieu : l'arène devient le symbole de l'évolution de la société. Au XIXe siècle, les ganaderos vivent encore de la terre et sur la terre ; la ganadería brava est en quelque sorte leur emblème et ils y consacrent beaucoup de moyens pour leur seul prestige. Chacun veut faire "son" toro, un toro unique, identifiable dès sa sortie en piste.
Pour Felipe de PABLO y ROMERO, la chose n'a rien d'extraordinaire car sa famille a des antécédants ganaderos. Du côté de son père, Felipe de PABLO y MURIEL, il a un oncle, Víctor de PABLO, qui fait combattre des toros à la Real Maestranza de Séville depuis 1853. Et du côté de sa mère, Amparo ROMERO-BALMASEDA OCHOA, il a un autre oncle, Ramón ROMERO BALMASEDA BARBIERI, qui est un important ganadero (1851-1862/5) sévillan, et qui a fait combattre ses toros non seulement à Sevilla depuis 1853, mais aussi à Madrid dès 1851 : en voici un, de 1851 à Madrid. Felipe a certainement vu les faenas camperas au moins chez son oncle Ramón BALMASEDA, dont les immenses cabreras l'auront probablement impressionné. Dans l'arène, c'est une part de lui-même qu'il veut mettre en scène. Ses toros seront donc le symbole de sa puissance : forts, braves, spectaculaires et intraitables ; leur mission sera d'imposer le respect.
Comme homme, Felipe cultive beaucoup les amitiés dans tous les milieux, et surtout les milieux taurins. Dans la conversation, ses pointes d'humour acerrées et bien venues font mouche. Durtant de longues abnnées et jusqu'à sa mort, il particioera aux discussions du Círculo de Labradores de Sevilla (Cercle des agriculteurs de Séville), encore existant, où les toros ne sont pas le seul sujet.
Premier ganadero du nom, Felipe de PABLO y ROMERO [le 'de' généralement attaché aux PABLO ROMERO n'a rien d'une particule de noblesse ; on a le droit de l'accoler à un nom composé, mais c'est facultatif] achète en octobre 1885 la (seconde) ganadería de Carlos CONRADI GALÍN, d'encaste pré-pablorromero, c'est-à-dire un salmigondis de castes diverses, en fort mauvais état qui plus est. De ce troupeau sur le déclin, il aura le génie de faire l'un des plus grands élevages de l'histoire de la ganadería brava (cf. son élevage) et, bien sûr, un fer légendaire et un encaste du même acabit : le pablorromero. On peut considérer que Felipe est celui qui régénère les fameux gallardos alors en perdition... mais il a peut-être trouvé par ailleurs des lots de bétail de qualité : cf. les deux "correctifs" en italique de la fiche élevage.
Felipe crée un style "maison" autoritaire qui, succès aidant, finira par s'imposer et se maintiendra jusqu'aux années 1980. Les corridas sont séparées en lots destinés par le ganadero à telle ou telle plaza selon les 'familles' (reatas) et surtout la présentation ; añojos, erales et utreros (1, 2 et 3 ans) sont élevés ailleurs et avec une alimentation particulière... "comme dans une famille". Le toro est fondamental, chez les PABLO ROMERO. Il n'est jamais question de gagner de l'argent avec les toros ; on essaye au moins d'arriver à l'équilibre, et si l'on a besoin d'argent, on en prend ailleurs. Ce qui compte, c'est le prestige, la "scène", plus que les résultats économiques. Comme toro, on fait ce que l'on entend et cela crée une relation particulière avec les empresas (corridas déjà choisies pour tel lieu), comme avec les toreros ou leur représentant (ils ne sont pas autorisés à voir les toros avant la course... et moins encore à demander, ou ne serait-ce qu'à suggérer, une retouche des cornes !). La philosophie de la maison, c'est : tout pour le public aficionado. On fait un toro pour le public, spectaculaire et dévoreur d'espace, avec beaucoup de responsabilité pour le torero. De 1888 à 1997, seront torées 103 corridas de PABLO-ROMERO à Madrid (le plus gros chiffre de l'histoire), 88 à Barcelona, 86 à Valencia (...) 55 à Murcia ; et dans 80% de ces plazas, c'est à la demande du public.
Une anecdote concernant Antonio ORDÓÑEZ exprime bien l'esprit de la famille PABLO-ROMERO, même si elle a lieu 80 ans plus tard. Nous sommes en 1965 ; il a déjà toréé 26 corridas de PABLO-ROMERO dans sa carrière ; il existe une grande estime réciproque entre le ganadero et le torero. Retiré des arènes depuis deux ans et absent de Madrid depuis trois, Antonio décide de venir confirmer l'alternative de José FUENTES qui semble alors promis à un grand avenir : il est annoncé à la San Isidro pour une seule course, la dernière, celle du 30 mai, et avec des PABLO-ROMERO. C'est son retour en piste. Le ganadero est alors José Luis de PABLO-ROMERO y ARTOLOITIA sous l'appellation PABLO-ROMERO S.A.. En ce début de temporada, il lui reste encore toute une camada de toros de 4 ans, non afeités, dont personne ne veut... précisément pour cette raison ; qui plus est, ce toro n'est pas "moderne", il "demande ses papiers" au torero. "Je n'ai pas peur. Je les prends [à la San Isidro] et alors toutes les corridas se vendront", dit au ganadero le grand Antonio par téléphone. Puis il demande un rendez-vous. A 17h, il se retrouve dans le bureau à BENAZUZA. Ils discutent une heure sans oser aborder "le" sujet ! Finalement :
_ José Luis, tu sais pourquoi je suis là...
_ Peut-être... j'en ai une vague idée...
_ C'est ma réapparition et ma seule corrida. C'est très important pour moi. J'aimerais la voir... Et si vous pouviez la rendre un peu plus "aimable". Sans vous déranger...
_ Mon cher ami, accomplissez votre mission, moi j'accomplirai la mienne.
Inutile de préciser que sa "mission" ignorait totalement l'afeitado !... Mais sans doute pas le choix du meilleur pour un si grand torero, auquel l'élevage devait tant, qui plus est. Résultat ? Antonio ORDÓÑEZ coupera les 2 oreilles du quatrième, "COMILÓN", et sortira en triomphe par la puerta grande de Las Ventas... Pour traiter ainsi avec l'un des plus grands toreros de l'histoire, il fallait avoir plus que de la notoriété.
Felipe meurt en 1906. Son fils Felipe de PABLO-ROMERO y LLORENTE lui succède ; à vrai dire, il s'occupait déjà de la ganadería depuis un certain temps.