FICHE ELEVEUR

CHARTREUX DE JEREZ


naît : 1600
meurt : 1835


Le monastère de la "Cartuja de Nuestra Señora de la Defensión", sur les berges du río Guadalete, près de Jerez, est attesté pour ses toros depuis le début du XVIIème siècle et jusques à 1835 ; ils étaient déjà fameux en 1614 et on sait qu'au milieu de ce XVIIe siècle, les chartreux vendent quelque 120 toros par an ! Mais les frères Chartreux (Cartujos) s'étaient installés à Jerez dès 1476, vers la fin de la Reconquête (achevée avec la prise de Grenade, le 2 janvier 1492) : on peut donc supposer avec raison qu'au moment où l'on commence à parler d'eux, ils s'occupent déjà de toros depuis longtemps. La chose est d'autant plus vraisemblable que l'Andalousie d'après la reconquête de Séville (1248) est une juxtaposition de petits royaumes agraires que les seigneurs de guerre issus de Castille se sont taillés épée en mains. Peu enclins à l'agriculture, ils développent un élevage extensif où la richesse se mesure en têtes de bétail : une dîme est probablement déjà payée aux évêques et aux ordres religieux, tant pour leurs besoins propres que pour leurs oeuvres sociales. Avec la prise de Grenade, on voit s'établir des propriétaires terriens qui se lancent dans l'agriculture, tandis que l'élevage du toro bravo devient le fleuron des principales exploitations, aux mains des nobles et l'Église : raison de plus pour cette dernière de recevoir une dîme sur le bétail !
Les frères CHARTREUX créent donc un troupeau d'origines diverses grâce à la dîme annuelle perçue sur les grands propriétaires terriens. Selon toute probabilité, tout ce bétail descend des grands troupeaux sauvages qui, aux 15e et 16e siècles, paissent encore librement en basse Andalousie sur ces immenses propriétés, en particulier du côté de TARIFA, et bien sûr dans la marisma du Guadalquivir. Chaque 10 naissances de veaux, on doit en donner un aux CHARTREUX : on comprend qu'ils aient ainsi obtenu, au fil des ans, des reproducteurs issus des ganaderías andalouses les plus prestigieuses... et les plus diverses. Certains pensent qu'ils pourraient aussi avoir obtenu du bétail par d'autres religieux ganaderos, mais à vrai dire on n'en sait pas grand chose et cela ne changerait rien à la nature du bétail, puisqu'il serait de mêmes origines andalouses. Comme ils sélectionnent avec succès [non seulement les toros bravos et les mansos mais aussi leurs fameux chevaux... cartujanos], on voit grandir leur réputation. On considère ici qu'ils créent un quasi encaste, le chartreux. Par contre, leur "fer" est très particulier.


[Notice sur les toros fraileros._A titre d'exemple, la plus ancienne affiche tauromachique connue annonce pour le 20 juin 1780, au Puerto de Santa María, une course avec des toros : du "REAL CONVENTO DE SANTO DOMINGO" " de XEREZ", portant une devise blanc et noir [les couleures de l'habit des frères Dominicains] ; de Pedro TORRÉS, portant une devise noire ; et de José VARGAS, portant une devise bleu ciel. Les matadors sont : Pedro ROMERO et son grand rival José DELGADO "alias YLLO" [=le fameux Pepe HILLO, qui sera tué à Madrid par le toro "BARBUDO" le 11 mai 1801].
Il peut paraître aujourd'hui curieux que des moines se livrent à l'élevage de toros de combat. En fait, les confréries religieuses qui s'installèrent en Andalousie dans le sillage de la "Reconquête" (à partir de 1248) furent, avec les seigneurs, les premiers possesseurs de troupeaux. Les monastères et couvents célèbres pour leurs toros sont loin d'être des exceptions en Andalousie : grâce à la dîme. On appelle couramment leurs toros d'un nom générique : les toros "fraileros" (= des frères) ; mais en fait, il s'agit fondamentalement des mêmes origines andalouses que pour les frères RIVAS, source de VISTAHERMOSA(1). C'est pourquoi on considère ici les toros "fraileros" comme des toros de la tierra de Andalucia, au même titre que les toros des RIVAS.
Parmi les "Frailes" restés fameux pour leurs toros, on trouve (outre nos CHARTREUX de Jerez) : le couvent "Santa María de las Cuevas" des CHARTREUX de Séville, attesté pour ses toros de 1731 à 1800 ; le couvent "San Hermenegildo" des Pères de la Compagnie de Jésus (JÉSUITES) de Séville, attesté de 1717 à 1763 ; le couvent de "San Isidro" de Séville, attesté de 1731 à 1796 ; le couvent des AUGUSTINS de la "Très Sainte Trinité" de Carmona, attesté de 1743 à 1780 ; le couvent royal "Santo Domingo" des DOMINICAINS de Jerez, attesté de 1775 à 1820 ; le couvent "San Jacinto" des DOMINICAINS de Séville, attesté de 1762 à 1794 [il semble bien que ceux de Jerez aient acquis du bétail auprès des Chartreux de la même ville, avant d'en céder une partie à leurs frères Dominicains de Sevilla ; dans ce cas, il faut faire remonter au début du XVIIIe les toros des Dominicains de Jerez ! C'est l'option prise ici] ; le monastère JÉRONIMITE de "San Jerónimo" de Séville, attesté de 1751 à 1796 ; le collège du couvent de "San Basilio", attesté de 1770 à 1777 ; et les AUGUSTINS du couvent de "San Agustín" de Séville, attesté de 1782 à 1793. Ces dates ne sont que des dates attestées ; elles ne signifient pas que l'activité ganadera n'ait pas commencé plus tôt ni continué plus tard. Par exemple, si les DOMINICAINS de "San Jacinto" à Séville peuvent vendre du bétail en 1762, c'est bien qu'ils ont commencé à en avoir avant et qu'ils ont déjà acquis une certaine réputation !
Pourquoi cette dîme ? Pour la subsistance de l'Église et de ses oeuvres... et pour le divertissement des nobles, leurs protecteurs, qui aimaient combattre des toros à cheval avec une lance. Il se dit même que les évêchés demandent alors aux religieux un maximum de productivité afin de faire vivre les oeuvres de charité : hôpitaux, institutions d'enseignement ou d'assistance, orphelinats... C'est une époque où le travail social n'est assuré que par l'Église et où les corridas sont une source de financement important (aujourd'hui encore, la 'Casa de Misericordia' gère les arènes de Pamplona au profit de l'orphelinat des soeurs).
Toutes ces ganaderías "fraileras" se retrouvent pas mal "tondues" lors de la guerre d'Indépendance contre Napoléon (1808-1813), avant que l'ordonnance d'exclaustration de MENDIZÁBAL, en 1835, n'en dépossède à tout jamais les religieux.
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Au milieu du XVIIIe, les CHARTREUX de Jerez possèdent 3.500 hectares répartis en de nombreuses fincas, dont "LA PEÑUELA", attestée au moins dès mi-XVIIIe, ou "SALTO AL CIELO" (!). Ils y élèvent 1.000 bovins dont 100 toros de combat.
En 1798, ils construisent dans leur dehesa de "SALTO DEL CIELO" la première placita de tienta connue (preuve manifeste de leur souci de sélection), ce qui en ferait les inventeurs de la tienta en plaza fermée, et non par "acoso y derribo"... ou en laissant faire la nature à partir des sujets les plus agressifs. Pourquoi cette placita ? Sans doute à la fois par nécessité et par intuition. Leur bétail acquérait une immense renommée et, semble-t-il, ils n'avaient pas de lieu fixe d'élevage à la hauteur de leur réputation croissante : il leur fallait des installations de catégorie. Et de fait, près de la chapelle isolée de "EL SALTO AL CIELO", ils ont construit cette placita de tienta dotée d'une manga d'entrée et de corrals annexes. Sur l'arc de l'entrée, on peut toujours voir 2 écus superposés et une date. En-haut, l'écu portant le monogramme d'Ave María : A et M entrelacés ; au-dessous, l'écu symbolisant le Monastère de la Cartuja de Santa María/nuestra Señora de la Defensión : deux lions au pied d'un arbre ; et tout en-bas, un cartouche portant la date: "AÑO DE 1797".
Début XVIIIe, les DOMINICAINS du couvent royal de Santo Domingo de Jerez acquièrent la moitié du bétail cartujano [et pas de bétail ailleurs ? malgré la renommée des Chartreux, ce n'est pas certain ; toutefois personne n'y fait allusion]. Eux-mêmes en cèderont (tout de suite ?...) une partie à leurs frères DOMINICAINS de San Jacinto à Sevilla [la plupart des sources ne mentionnent pas cet intermédiaire et font passer directement le bétail des Chartreux de Jerez aux Dominicains de Sevilla]
Attention : Certains disent que, mi-XVIIIe, les Chartreux de Jeréz ont cédé la moitié de leur bétail à leurs frères Chartreaux de Séville, du Monasterio de Santa María de las Cuevas. Céder la moitié de son élevage début XVIIIe puis recommencer mi-XVIIIe est un peu étonnant. Y a-t-il eu une part de confusion entre les Dominicains de Jeréz et les Chartreux de Séville ?... .